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Michel Sapin : "Il faudra beaucoup de temps avant de réconcilier les Français avec l’impôt"

Pour l'émission "L'Angle éco" du lundi 20 avril, François Lenglet se penche sur les impôts et le système fiscal français. Il a rencontré Michel Sapin, le ministre des Finances et des Comptes publics. 

Article rédigé par franceinfo - Propos recueillis par François Lenglet
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Michel Sapin, ministre des finances, avec François Lenglet. Paris, avril 2015. (CAPTURE ECRAN FRANCE 2)

Dans le magazine "L'Angle éco" du 20 avril, François Lenglet se penche sur le système fiscal français. Il rencontre notamment Michel Sapin, le ministre des Finances et des Comptes publics, qui promet une baisse des impôts en 2015, jusqu'en 2017. Reconnaissant que le système fiscal est devenu trop complexe en France, il revient également sur le sentiment de ras-le-bol fiscal. Entretien.  

François Lenglet : Manuel Valls a récemment parlé d’une erreur faite au début du quinquennat : une forte augmentation des impôts. Il a également évoqué la colère des Français, leur ras-le-bol fiscal. Vous avez déjà pris un certain nombre de mesures correctives. Allez-vous baisser davantage les impôts ? 
 
Michel Sapin : Revenons d’abord sur l’erreur. Elle a été commise par plusieurs gouvernements : l’augmentation des impôts, autant pour les entreprises que pour les particuliers, a commencé bien avant 2012. Il faut se souvenir du contexte : nous étions dans une période où il fallait rééquilibrer les comptes, où nous devions nous plier à une discipline nécessaire par rapport à nos amis européens. L'effort collectif était nécessaire. La facilité a été d’augmenter les impôts, et je comprends que cela énerve. Evidemment, aujourd’hui, nous devons rééquilibrer les choses. Cela veut dire stabiliser et diminuer les impôts, mais également diminuer les dépenses publiques. 
 
Allez-vous diminuer les impôts ? 
 
C’est notre perspective. Nous avons stabilisé les prélèvements obligatoires en 2014 par rapport à 2013. En 2015, il y aura une baisse globale. Celle-ci se fera principalement en faveur des entreprises, avec une baisse des charges qui permettra des marges, des investissements et de l’emploi. Les impôts, principalement l’impôt sur le revenu, baisseront également pour neuf millions de Français. Nous prévoyons de continuer sur cette tendance en 2016 et en 2017. 
 
Nous avons le sentiment que le consentement à l’impôt, pilier de la
démocratie, s’est érodé en France. On voit notamment des situations de révolte, de rupture chez les Français, quel que soit leur niveau de vie
 
Le consentement à l’impôt n’est pas quelque chose de naturel en France. Cela ne date pas d’aujourd’hui. L’histoire de France, de l’unité française, s’est faite autour de la question de l’impôt, et de la révolte contre l’impôt. En Bretagne, à propos de l'écotaxe, nous avons vu une révolte un peu de même nature que les révoltes plus anciennes contre l’impôt. Cela passe aussi par l’éducation. Les pays européens où l’attitude à l’égard des impôts est totalement différente sont souvent des pays plus petits, où l’égalité de traitement, la solidarité et la redistribution sont des éléments constitutifs de la société. 
 
N’êtes-vous pas préoccupé par la montée d’un sentiment de contestation vis-à-vis de l’Etat et de ses prélèvements obligatoires ? 
 
Comment faire pour que l’impôt, qui n’est jamais agréable à payer, devienne plus facilement accepté ? Il faut dans un premier temps essayer de faire plus simple. Je dis bien "essayer", car la complexité fiscale en France a des tas d’origines. C’est fou comme on aime l’imagination, la subtilité, les arrangements de toutes natures quand on travaille sur l’impôt ! Mais, à vouloir trop finasser, on arrive à quelque chose de peu compréhensible. 
 
Le président de la République avait promis une grande réforme fiscale pour rendre l’impôt plus lisible et plus juste. Cette réforme a-t-elle disparu ? 
 
Cette grande réforme fiscale, ce serait quoi ? Nous avons déjà supprimé plusieurs petites taxes, mais il fallait aller beaucoup plus loin. Le problème, c’est que, derrière chaque petite taxe, vous avez quelqu’un qui est intéressé par sa perception. Je pourrais vous donner de nombreux exemples. Chaque taxe a sa justification, mais sa multiplication devient insupportable. Trop souvent, c'est "un problème, un impôt". Soit pour augmenter les recettes, soit pour baisser les impôts. Car vous avez des petites taxes, mais vous avez également des niches fiscales. Et, quand vous en avez partout, vous n’y comprenez plus rien. 
 
Cette complexité n’est-elle pas un impôt en elle-même ? C’est-à-dire un frein à l’initiative, à l’entreprise et à la création d’emplois ? 
 
Quand l’impôt devient illisible, il est très difficile de le payer. Une société qui a du mal à comprendre pourquoi elle paye ses impôts, qui refuse de payer pour l’école, la sécurité ou les infrastructures, c’est une société en difficulté. Il faut de la simplicité. Nous devons combattre l’imagination au niveau fiscal. Les premiers à demander des abaissements d’impôts ou des niches fiscales sont des professionnels, ou des groupes d’intérêts. Mon rôle est de leur dire que, oui, leur demande est justifiée, mais que cela en plus du reste ne devient plus compréhensible.
 
Notre responsabilité, à Bercy, est donc d’avoir la capacité de dire "non". Et nous parvenons à en empêcher un bon nombre. Beaucoup de mécanismes en cours, notamment grâce aux nouvelles technologies, vont également rendre l’impôt plus simple, à la fois dans sa déclaration, dans sa lecture et dans son paiement. Il faudra beaucoup de temps avant de réconcilier les Français avec l’impôt. Ces mécanismes permettront au moins de simplifier la déclaration et le paiement, et ainsi de faire baisser la tension autour de l'impôt. 
 
Le niveau actuel des impôts n’explique-t-il pas le fait que notre reprise est poussive, quelque peu différée par rapport aux autres pays européens ? 
 
Ce n’est pas tant une question de niveau que d’inefficacité. Certains pays en Europe ont des niveaux d’impôts comparables, voire supérieurs au nôtre. Ils connaissent pourtant une croissance bien plus forte. Il ne s'agit pas de l'impôt en tant que tel, mais des impôts qui pèsent. Je suis persuadé que les impôts qui ont pesé sur la compétitivité de nos entreprises ont été un frein considérable à la reprise de l'activité et de l'emploi. C'est pour cela que nous abaissons massivement les charges, cotisations et impôts. 
 
Des calculs ont été réalisés sur ce que l'on appelle "le jour de libération fiscale". Il s'agit du jour à partir duquel, dans une année de travail, on ne travaille plus pour l'Etat, mais pour soi. En France, il s'agit du 14 juin. En Allemagne, c'est le 23 mai, et, en Grande-Bretagne, le 10 mai. Comment expliquer cette exception française ? 
 
Mais l'Etat représente 35% des dépenses publiques ! Il y a aussi l'assurance-maladie, la retraite... Ce qui fait la différence, c'est notre protection sociale, pas le niveau des dépenses publiques. Notre niveau de protection sociale est plus élevé que celui de l'Allemagne, par exemple. Vous avez outre-Rhin des conventions signées par entreprise qui n'entrent pas dans les prélèvements obligatoires, car elles ne concernent qu'une entreprise ou une branche. Mais il faut bien sûr rapprocher du 1er janvier la date à partir de laquelle les Français ont fini de payer des impôts pour la collectivité. 
  
Vous êtes récemment allé en Estonie, où l'impôt est à taux unique. L'impôt sur le revenu est de 20%, tout comme la TVA. Un tel système est-il envisageable en France ? 
 
Un taux unique pour l'impôt sur le revenu, c'est contraire à un grand principe français : celui de la progressivité. Plus vous êtes riche, plus vous payez d'impôts. Je ne proposerai pas de remettre cela en cause. 
 
Pourtant, notre système actuel, avec les niches fiscales, détruit cette progressivité. Il y a même des situations où l'impôt est régressif, c'est-à-dire qu'en proportion, les plus fortunés payent moins que la classe moyenne. 
 
Vous avez, certes, des situations de cette nature. Mais ce qu'il faut remettre en cause, c'est la niche fiscale, pas la progressivité de l'impôt. Ce principe est un principe républicain et fondamental. Payer 20% d'impôts lorsque vous gagnez 1 500 euros par mois, cela pèse plus lourd que payer 20% d'impôts sur 150 000 euros. 
 
Ne pourrions-nous pas imaginer un système progressif avec, peut-être, trois à cinq taux, mais sans niches fiscales ? 
 
Cette année, nous avons déjà supprimé la première tranche. C'est un mécanisme de simplification qui permet, par ailleurs, d'alléger l'impôt. C'est vers là qu'il faut peut-être aller. Cependant, si vous n'appliquez que deux ou trois taux, la progressivité s'en trouve réduite. Il ne s'agit pas simplement d'une question de simplicité, mais aussi de justice sociale.

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