Si je vous chante « La lettre à Elise » ou l’air de Carmen, je nevais pas forcément vous rendre service... Non, peut-être même allez-vous me pourrir la journée, parceque vous m’aurez communiquée ce qu’on appelle un « ver d’oreille »,dont j’aurai le plus grand mal à me défaire. Savez-vous que nous sommes tousatteint de cette sensibilité et que seuls 1% d’entre nous seraient immuniséscontre ce phénomène ?Pourquoi neparvenons-nous pas à nous défaire de cespetits airs ?D’après le philosophe Pierre Szendy, qui a travaillé sur lescaractéristiques des tubes, ce sont essentiellement les structures musicalessimples et répétitives qui s’impriment dans notre cerveau, parce qu’elles sontquasiment automatiques et donc faciles à mémoriser (c’est d’ailleurs la raisonpour laquelle il est bien plus facile d’apprendre un poème qu’un texte enprose).Dans ce cas, n’importequelle petite ritournelle peut faire l’affaire et nous devrions être envahistoute la journée?Et ce n’est pas le cas : nous ne sommes pas "infestés" par n’importe quel "ver d’oreille " : l’association dela musique et des paroles, ou la musique seule, sont d’après la psychanalysteEdith Lecourt, toujours en relation avec notre inconscient, ils viennentévoquer pour nous des sensations, des émotions de notre passé, par exempleparce que nous écoutions cette musique avec nos parents. Ces petits airs sontune porte d’entrée privilégiée, cette part cachée de nous-mêmes. En y portantattention, nous pouvons alors tenter de décrypter nos affects : ces petitsairs nous disent des choses de nous, notre inconscient ne choisit pas parhasard notre "ver d’oreille ". Si je chantonne "il pleut surNantes" ou bien "Je voussouhaite tout le bonheur du monde", vous êtes d’accord avec moi, cela neveut pas dire la même chose, cela n’a pas la même "tonalité".Cela peut-il aller plusloin ?Oui. Nous pouvons soudain, sans l’entendre, être envahi parune phrase musicale, un air, et que celle-ci produise alors un effet puissant.Le psychiatre anglo-américain, Oliver Sacks, a raconté l’histoiresuivante : pendant une excursion en montagne, il s’était blessé à lacuisse et ne pouvait quasiment plus marcher. Et puis un jour, je cite "une glorieuse musique de Mendhelsson monta en moi, fortissimo !Aussitôt, je me remis à marcher avec la musique. La mélodie et le rythmeinconscient de la marche m’étaient revenus." Je pourrais aussi citer lecas du l’écrivain William Styron, qui, plongé dans une très grave dépression,commença à remonter la pente à partir du jour où lui revint en mémoire quechantait sa mère. L’évocation de cette musique lui avait ouvert la voiejusqu’au lien qui l’unissait à elle et lui permit de reparcourir le chemin deson enfance. Alors, la prochaine fois que vous chantonnerez, ne vous agacez pas(d’ailleurs, les vers d’oreille disparaissent en général après une nuit desommeil ou après l’écoute d’un autre morceau de musique) et tentez d’écouter cequ’il a à vous dire...Un article signé HélèneFresnel à retrouver dans Psychologies Magazine du mois de février, Un livre àconseiller ?Oui, deux :Musicopholia, lamusique, le cerveau et nous un superbe essai du psychiatre Oliver Sacks, Seuil.Et La musicothérapie d’EdithLecourt, aux Editions Eyrolles.