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Maëva Danois lâchée par Nike "comme une vieille chaussette"

Spécialiste du 3 000 m steeple et du cross-country, Maëva Danois a été lâchée par son équipementier Nike, à la suite d'une blessure en 2018. Cette affaire rappelle le récent combat mené par la sprinteuse américaine Allyson Felix, ou encore la lanceuse de disque Mélina Robert-Michon, en marge de leur grossesse. Dans un entretien accordé à France tv sport, Maëva Danois revient sur son cas personnel et évoque notamment la discrimination subie par les femmes dans le sport.
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France Télévisions
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Temps de lecture : 4 min.
  (JEAN MARIE HERVIO / DPPI MEDIA)
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Comment avez-vous rejoint Nike ?
Maëva Danois : "Je suis arrivée à l'Insep (Institut national du sport, de l'expertise et de la performance) il y a 5 ans. Je recevais des dotations de temps en temps et à la suite de ma première année, j'ai signé un contrat, c'était donc en 2015. Il s'agissait d'un contrat de trois ans renouvelable. Ils me donnaient sur un compte une somme d'argent destinée à m'équiper intégralement. C'est comme pour un maçon, c'est notre matériel de travail et c'est déjà énorme. Cela m'aidait énormément, c'était un peu Noël. En contrepartie j'avais accepté de montrer la marque, de véhiculer les valeurs à travers le logo… C'était beaucoup de fierté d'appartenir à cette marque. Et je découvrais encore plus le haut niveau à travers ce contrat."

Comment avez-vous appris que Nike vous lâchait ?
MD : "Je ne l'ai jamais appris. Je l'ai constaté. En mai 2018 je me blesse au genou (rupture des ligaments croisés), puis je me fais opérer le 17 juillet. En septembre 2018, j'ai envoyé un mail au responsable Nike France Running, ainsi qu'à son adjointe. Mais à ce jour, je n'ai aucune réponse de leur part. J'en ai conclu que j'étais jetée comme une vieille chaussette. C'est dur à vivre, mais je me suite reconstruite avec ma famille et mon entourage. En clair, je ne remplissais plus les critères pour rester avec eux."

"Enceinte c'est être malade, blessée c'est être en fin de vie"

Avez-vous eu écho de situations semblables ?
MD : "Il y a Mélina Robert-Michon (vice-championne olympique du lancer de disque), qui a été lâchée en mai dernier par le même sponsor après la naissance de sa deuxième fille. C'était dans le cadre d'une grossesse, mais le traitement est semblable. De même pour l'Américaine Allyson Felix* (sextuple championne olympique en sprint). Il s'agit d'une discrimination envers les femmes. La marque fait un raccourcie, être enceinte c'est être malade, blessée c'est être en fin de vie. On reste des femmes ! Sans être féministe, on est encore une minorité dans le sport et la grossesse c'est aussi un tabou."

Avez-vous été surprise par cette situation ?
MD : "Pas forcément surprise, mais déçue dans un premier temps en fait. Ce n'est pas dans mes valeurs. Moi, je me suis reconstruite. Il arrive la même chose à une gamine de 18 ans, ça peut la détruire. Je suis bien entourée et c'est ce qui me permet de passer à autre chose."

Comprenez-vous leur logique ?
MD : "C'est une démarche commerciale. Ils se servent de nous, athlètes pour aller toucher le grand public. On se sent un peu utilisé, on est comme des fourmis face à un géant comme Nike et on a peur. Il y a des moyens financiers qui sont colossaux… Je pense malgré tout que les valeurs humaines sont plus fortes que les enjeux financiers, c'est ce que j'ai voulu traduire dans ma démarche."

"Des publicités humaines"

Pensez-vous que Nike devrait être plus dans l'accompagnement ?
MD : "Ce n'est pas leur priorité l'accompagnement. Quoi qu'il arrive, une marque fera toujours en sorte de toucher un maximum de public. Pour eux, on n'est plus des êtres humains, mais des acheteurs. Et nous les sportifs, on est des publicités humaines."

Pensez-vous que Nike est le seul à agir de la sorte ?
MD : "Non. Je vise Nike car c'est le plus mis en cause en ce moment. Mais ce n'est pas la seule marque. Ce n'est pas la première fois qu'un sponsor lâche un athlète blessé. Qu'importe, même à l'échelle olympique on n'a pas à subir ce genre de traitement. Heureusement qu'on est entraîné à ne pas baisser les bras. Moi-même, j'ai une préparatrice mentale qui m'aide à gérer ces situations."

Aujourd'hui quel est votre projet ?
MD : "J'ai un double projet, le sport et étudier ma future profession. Je suis en école de pédicure-podologie, entre ma deuxième et ma troisième année. A l'issue de ces trois ans, je serai diplômée d'état. Mais aujourd'hui, le projet sportif est ma priorité. Je souhaite participer aux JO et aux Championnats d'Europe à Paris l'an prochain. Le matin je me lève et je sais pourquoi. J'ai fait le choix de ne pas faire de compétition en 2019. Et j'ai hâte de retrouver la compétition, d'être encore plus forte. Ma motivation n'était pas de trouver un nouvel équipementier, mais j'ai bien eu la proposition de faire ma propre marque !"


*Après une tribune d'Allyson Felix publiée dans le NY Times, la marque à la virgule s'était engagée en août dernier à ne plus diminuer la rémunération des sportives qu'elle sponsorise et à ne pas rompre leur contrat en raison de leur grossesse.

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